
Zweifel + Strickler + AssociĂ©s et Urbaplan, Photomontage du projet de 1971, dĂ©tail (DII) Le photomontage est rĂ©alisĂ© en vue du Message aux Chambres fĂ©dĂ©rales. Le choix de la couleur blanche est surprenant car il accentue lâeffet dâĂ©cran. Les bĂątiments atteignent la hauteur de 42.9 m.
Le mandat pour la construction de la nouvelle EPFL est attribuĂ© au bureau Zweifel + Strickler + AssociĂ©s en 1971. Si le projet laurĂ©at du concours est apprĂ©ciĂ© pour sa flexibilitĂ©, il reste toutefois trĂšs abstrait. Au moment de sa mise Ă lâenquĂȘte cependant, en 1973, la variante proposĂ©e comporte une sĂ©rie de tours, dont lâintĂ©gration dans le paysage fait polĂ©mique. Sâengage alors un dĂ©bat houleux opposant la Commune dâEcublens et ses citoyen·ne·s, d’un cĂŽtĂ©, Ă lâEPFL et Ă la ConfĂ©dĂ©ration, de l’autre. On se bat dâabord Ă coup de photomontages : câest de cette guerre des images et de lâopinion que va finalement Ă©merger, dans le secret, la solution construite.
Du concours en 1971 Ă la mise Ă lâenquĂȘte en 1973
Les idĂ©es qui ont fait la force du projet de Zweifel + Strickler + AssociĂ©s lors du concours de 1969-1970 sont celles dâune structure en grille standardisĂ©e, qui doit assurer une croissance aisĂ©e de l’Ă©cole. Ces principes vont constituer une constante et un atout important dans les multiples Ă©volutions du projet depuis son premier plan directeur jusqu’Ă sa mise en chantier.
Au sortir du concours en 1971, le jury Ă©met des recommandations qui portent sur une amĂ©lioration des circulations, une rationalisation des bĂątiments et une diminution des coĂ»ts1, ainsi que sur le souhait dâun Ă©talement moindre sur le site. Une version prĂ©cisĂ©e du projet est rĂ©clamĂ©e aux architectes en vue du Message que le Conseil fĂ©dĂ©ral doit adresser aux Chambres fĂ©dĂ©rales pour sa demande de crĂ©dit en 1972. Dans ce nouveau plan directeur, le projet prĂ©sente de longs bĂątiments de cinq Ă©tages posĂ©s sur des socles de trois niveaux, qui restent rĂ©glĂ©s par un systĂšme en grille. ComparĂ© Ă la version du concours, lâemprise au sol est diminuĂ©e, mais lâimpact sur le paysage demeure important, malgrĂ© une diminution de hauteur des Ă©difices de 60 Ă 40 mĂštres. Pour conserver une arborisation suffisante et Ă©viter une trop forte densification du bĂąti, lâEPFL ne souhaite pas les abaisser davantage.

Le photomontage est rĂ©alisĂ© en vue du Message aux Chambres fĂ©dĂ©rales. Le choix de la couleur blanche est surprenant car il accentue lâeffet dâĂ©cran. Les bĂątiments atteignent la hauteur de 42.9 m.

La maquette est réalisée par les architectes en vue du Message aux Chambres fédérales.
Le bureau Urbaplan, chargĂ© de la planification rĂ©gionale, reproche « lâeffet dâĂ©cran »2 produit par les constructions envisagĂ©es. Pour lâattĂ©nuer, les architectes dessinent alors une nouvelle « typologie de bĂątiments variĂ©s en profondeur, se basant sur un plan cruciforme »3. Lâensemble conserve cependant sa modularitĂ©, qui permet de configurer les bĂątiments en fonction des besoins. Les constructions nâapparaissent plus comme de longues barres obstruant le paysage mais davantage comme des tours, plus fines, grĂące aux « dĂ©crochements en façade »4. Urbaplan conseille tout de mĂȘme dâ« investir dans une arborisation intensive »5 afin dâamĂ©liorer lâintĂ©gration dans le paysage.

Le photomontage est rĂ©alisĂ© en vue de la mise Ă lâenquĂȘte. Pour rĂ©pondre aux critiques et pour mieux se fondre dans le paysage, les bĂątiments sont reprĂ©sentĂ©s dans des tons foncĂ©s. Les bĂątiments ont toujours la hauteur de 42.9 m.

La maquette est rĂ©alisĂ©e par les architectes en vue de la mise Ă lâenquĂȘte.
Un véritable feuilleton médiatique
Le projet de tours est mis Ă lâenquĂȘte du 27 mars au 13 avril 1973. Cette Ă©tape intervient dans un climat de tensions entre la population de lâOuest lausannois et la Ville de Lausanne, qui aurait, selon un lecteur du journal 24 Heures, tendance Ă implanter ses infrastructures disgracieuses dans la pĂ©riphĂ©rie6. Avec la construction de lâĂ©cole, qui sâopĂšre dans un contexte post-mai 1968, certain·e·s habitant·e·s redoutent lâarrivĂ©e « dâun Nanterre en puissance »7 sur leur petite commune dâEcublens. Une exposition des plans est organisĂ©e par lâEPFL : elle est Ă©tonnement peu visitĂ©e. Il faut attendre la reprise par la presse dâun premier photomontage rĂ©alisĂ© par les architectes afin de reprĂ©senter lâintĂ©gration des tours dans le paysage pour que la population et la Commune rĂ©agissent. Lâimage deviendra alors le principal vecteur dâopinion dâun feuilleton mĂ©diatique et politique opposant lâEcole et les dĂ©tracteurs des tours.

Câest le premier article qui fait apparaĂźtre dans la presse lâun des photomontages prĂ©sentĂ©s lors de la mise Ă lâenquĂȘte.
Lâimplantation dâinfrastructures sur le site de la future EPFL avait dĂ©jĂ fait dĂ©bat dans les annĂ©es 1940-1950 avec la proposition dây construire un aĂ©rodrome. Cette fois-ci, la population souhaite faire entendre sa voix Ă travers la crĂ©ation dâun ComitĂ© dâopposition au volume de lâEPFL. Il conteste la justesse des photomontages prĂ©sentĂ©s lors de la mise Ă lâenquĂȘte, estimant que les bĂątiments y sont reprĂ©sentĂ©s moins hauts quâils ne le seraient en rĂ©alitĂ©. Le 15 juin 1973 a lieu un premier coup de théùtre. Contre toute attente, le Conseil communal dâEcublens, sous la pression des opposant·e·s, prie la MunicipalitĂ© de refuser le permis dâimplantation, alors que lâEPFL sâĂ©tait pourtant assurĂ©e, lors de discussions prĂ©alables avec le syndic dâEcublens, de recevoir lâapprobation de la Commune8. La bataille des tours est lancĂ©e.
Souhaitant impliquer un maximum de personnes, le ComitĂ© dâopposition dĂ©cide de « rectifier » le photomontage rĂ©alisĂ© par lâEPFL Ă travers un nouveau montage oĂč les bĂątiments apparaissent beaucoup plus grands. Ils y atteignent mĂȘme la hauteur de lâĂ©glise du Motty, point culminant et symbolique du paysage dâEcublens. Dix-mille dĂ©pliants tout-mĂ©nage sont ainsi envoyĂ©s Ă la population de lâOuest lausannois pour prĂ©senter cette nouvelle version modifiĂ©e.

Par rapport aux photomontages produits par lâEPFL, la version des opposants reprĂ©sente le volume de lâĂ©cole de façon nettement plus grande et lâaligne au sommet de lâĂ©glise du Motty.
Le photomontage des opposant·e·s provoque lâeffet escomptĂ©, suscitant un grand nombre dâarticles relatant lâaffaire des tours. Face Ă une telle levĂ©e de boucliers, le prĂ©sident de lâEcole, Maurice Cosandey, dĂ©nonce les « procĂ©dĂ©s malhonnĂȘtes »9 utilisĂ©s : le photomontage des opposants serait « truquĂ© », volontairement exagĂ©rĂ©, le volume des constructions trop grand, le point de vue trop Ă©loignĂ© et lâĂ©glise du Motty dĂ©placĂ©e afin dâaccentuer la confrontation avec la future Ă©cole. Une seconde vague de dĂ©pliants, envoyĂ©e cette fois-ci par lâEPFL, est diffusĂ©e dans la population, dĂ©nonçant la tromperie supposĂ©e des opposants.

Le photomontage figure sur le dĂ©pliant tout-mĂ©nage envoyĂ© par lâEPFL, qui rectifie celui des opposant·e·s. Il est accompagnĂ© dâun argumentaire vantant la nĂ©cessitĂ© Ă©conomique et culturelle dâune Ă©cole polytechnique pour la rĂ©gion de lâOuest lausannois.

Le photomontage figure sur le dĂ©pliant tout-mĂ©nage envoyĂ© par lâEPFL : en blanc, le volume reprĂ©sentĂ© par les opposant·e·s, en silhouette, celui rectifiĂ© par lâEPFL.

La presse se fait largement Ă©cho de la « petite guerre des photomontages » et des dĂ©nonciations rĂ©ciproques de « trucage » et de « malhonnĂȘtetĂ© ».
Mais un nouveau rebondissement intervient lorsque la Commission consultative dâurbanisme et dâarchitecture, devant statuer sur la possible protection du site, dĂ©crĂšte que la zone de construction de la future EPFL « nâest pas un site dont lâaspect mĂ©rite protection »10. Le constat est vĂ©cu comme un affront par la population et amĂšne la MunicipalitĂ© Ă refuser le permis dâimplantation le 31 juillet 1973. Cette dĂ©cision est immĂ©diatement contestĂ©e par la Direction des constructions fĂ©dĂ©rales (DCF), qui choisit de faire recours. Mais attendre le verdict de la Commission cantonale de recours retarderait le projet. Zweifel estime quâil est « absolument nĂ©cessaire de possĂ©der une solution de rechange, afin de pouvoir rĂ©agir trĂšs rapidement Ă un Ă©ventuel refus de ladite Commission »11.
Un dénouement dans le secret
Lâissue de la bataille en cours se jouera entre un nombre restreint de protagonistes : lâEPFL, la Direction des constructions fĂ©dĂ©rales et les architectes. LâEcole et la DCF Ă©laborent une nouvelle variante dans une maison au milieu des vignes pour rester dans le plus grand secret : câest le « projet Vignoble ». Les architectes nâen sont pas mĂȘme avertis, jusquâĂ ce que la DCF leur demande de contrĂŽler ce mystĂ©rieux projet. Les modifications portent uniquement sur lâabaissement des tours, sans traiter lâensemble des constructions. Le bureau Zweifel + Strickler sây oppose par un contre-projet, Ă©laborĂ© lĂ encore dans le « secret absolu »12.
Le « projet Vignoble » et celui des architectes sont comparĂ©s Ă Berne en dĂ©cembre 1973. Dans la variante des architectes, il nâest plus question de bĂątiments hauts : le plan adopte la solution dâun « tapis »13 oĂč les tours sont rabattues pour donner naissance Ă des « bĂątiments-ponts »14 et oĂč les constructions ne dĂ©passent plus quatre Ă©tages. Plus Ă©talĂ© mais ayant un impact grandement diminuĂ© sur le paysage par rapport aux versions antĂ©rieures, le projet est prĂ©fĂ©rĂ© Ă celui de la DCF et de lâEPFL. Le projet de Zweifel + Strickler constituera la solution dĂ©finitive suite au refus du projet de tours par la Commission cantonale de recours en avril 1974.

« Avant »/« AprĂšs » : lâEPFL est prĂ©sentĂ©e en coupe avant les modifications du plan en 1973âŠ

… et aprĂšs. Les tours y sont remplacĂ©es par des « bĂątiments-ponts ».

Le dessin de Pecub illustre de façon satirique « LâĂ©volution du projet de 1971 Ă 1975 ».
Le projet définitif de 1975
Avec la nouvelle variante de Zweifel, le projet prend sa forme finale. Il reste Ă ajuster la distribution des programmes ainsi que les dĂ©tails de la mise en Ćuvre. La transformation des tours en « bĂątiments-ponts » favorise la hiĂ©rarchisation des flux et des programmes, et renforce un nouveau niveau de rĂ©fĂ©rence propre Ă lâEPFL. La nouvelle variante ayant Ă©tĂ© acceptĂ©e, le chantier peut enfin dĂ©marrer.

Dans cette photo de 1984, la nouvelle Ă©cole apparaĂźt comme un tapis sâĂ©tendant horizontalement sur le site dâEcublens. La vue sur le lac est complĂštement dĂ©gagĂ©e.

La maquette tĂ©moigne de lâeffet de tapis du projet. En comparaison avec les versions prĂ©cĂ©dentes, on peut voir une continuitĂ© dans lâĂ©volution, puisquâon retrouve la plupart des Ă©lĂ©ments dĂ©jĂ prĂ©sentĂ©s auparavant.

Le village dâEcublens, autrefois en pleine campagne, va dĂ©sormais accueillir une Ă©cole pour des milliers dâĂ©tudiants : le projet prend une envergure Ă lâĂ©chelle dâun quartier urbain.
Les nombreuses modifications effectuĂ©es lors de lâĂ©laboration du projet ont pu ĂȘtre rĂ©alisĂ©es de maniĂšre cohĂ©rente car elles obĂ©issent Ă des principes Ă©tablis dĂšs le dĂ©but. Celui dâabord dâune structure en grille qui fait de la premiĂšre Ă©tape de lâEPFL moins un bĂątiment quâun ensemble continu Ă lâĂ©chelle urbaine. Celui dâune standardisation du plan et de la construction ensuite, Ă toutes les Ă©chelles du projet (typologies des bĂątiments et des locaux, matĂ©riaux et mĂ©thodes de construction), qui va rendre possible une Ă©volution cohĂ©rente de lâensemble. Cette standardisation, fondĂ©e sur une grille Ă base carrĂ©e de 1.20 m par 1.20 m appliquĂ©e Ă tous les niveaux, autorise en effet une grande libertĂ© dans la rĂ©partition des surfaces. Ces principes vont permettre de transformer en quelques annĂ©es une proposition de base trĂšs abstraite en un projet adaptĂ© au site spĂ©cifique dâEcublens et dâen faire Ă©voluer radicalement les volumes sans remettre en question la cohĂ©rence de lâensemble.
Pavo Andelic, David Hoffert, Valdrin Jashari, Alexandre Tiarri (EPFL, architecture)
Crédits iconographiques
Archives de la construction moderne, EPFL, Fonds Jakob Zweifel (ACM)
Domaine Immobilier et Infrastructures de lâEPFL (DII)
MĂ©diathĂšque EPFL Archives communales dâEcublens (ACE)
Claude Nicod, Implantation Ă Ecublens de lâEcole Polytechnique FĂ©dĂ©rale de Lausanne. PremiĂšre Ă©tape, 19 octobre 1984 (Nicod 1984)
Notes
1. JoĂ«lle NEUENSCHWANDER FEIHL, Ecole polytechnique fĂ©dĂ©rale de Lausanne : chronique dâun chantier, Lausanne, EPFL/Office des constructions fĂ©dĂ©rales, 1998, p. 77.
2. Robert BAMERT, « LâĂ©volution du projet de 1971 Ă 1975 », dans Implantation Ă Ecublens de lâEcole polytechnique fĂ©dĂ©rale de Lausanne : Etudes III, novembre 1975, EPFL, Bureau de planification, 1975, p. 7.
3. Idem.
4. Idem.
5. CitĂ© par JoĂ«lle NEUENSCHWANDER FEIHL, « Une Ă©cole Ă la campagne : chronique du chantier », dans Maurice COSANDEY (dir.), Histoire de lâEcole polytechnique Lausanneâ: 1953-1978, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1999, p. 532.
6. J. K., « La rĂ©volte de lâOuest », courrier de lecteur, 24 Heures, 12 avril 1973.
7. Idem.
8. Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, 1999, op. cit., p. 532.
9. Maurice COSANDEY, « ConfĂ©rence de presse du 12 juillet 1973 », p. 6. 10. Anne MANCELLE, « EPFL gĂ©ante Ă Dorigny : oui, dit une commission dâurbanisme », 24 Heures, 28 juillet 1973.
11. Jakob ZWEIFEL, Rapport final de mission : implantation Ă Ecublens de lâEPFL, 1er octobre 1973.
12. Idem.
13. Robert BAMERT, op. cit., p. 6.
14. Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, 1998, op. cit., p. 112.

Premiers bĂątiments: le site avant l’EPFL
Il y a soixante ans, les paysans locaux labouraient encore leurs champs de maĂŻs, de colza ou de blĂ© sur les terrains de Dorigny et dâEcublens.

Premiers bĂątiments: le concours dâarchitecture
Le projet du bureau Zweifel + Strickler + AssociĂ©s sera dĂ©signĂ© laurĂ©at du concours: un systĂšme en grille rĂ©guliĂšre susceptible de s’Ă©tendre Ă grande Ă©chelle au grĂ© des besoins.

Premiers bĂątiments: lâaudiovisuel pour lâenseignement
Le dĂ©mĂ©nagement de lâĂ©cole dans les annĂ©es 1970 coĂŻncide avec dâimportantes rĂ©flexions sur lâusage des moyens audiovisuels dans la pĂ©dagogie universitaire.